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Episode 13 : Face à face

En cours, nous étions tous arrivés plus tôt pour ne pas être dérangés par les autres étudiants. 

Comme par hasard, Tyler était également présent.

- Quelqu'un a revu le maire ? demanda Aïko, Daïna ?

- Non, pas depuis la fête Western.

- Vous qui habitez ici depuis toujours, vous pouvez pas nous en dire plus sur lui ?

- Tu te souviens, Jenny, de Eurli Baker ?

- Le vieux qui pue, tout le monde se souvient de lui, pour Halloween il donnait des cailloux qu'il avait peints et emballés en bonbons à tous les enfants. J'ai failli me péter les dents et ta soeur a failli s'étouffer.

- Le vieux cinglé, soupira Gart, je m'en souviens aussi. J'avais sonné chez lui, déguisé en fée clochette, il m'a offert la plus surprenante combinaison d'insultes jamais entendue, il a éclaté de rire puis m'a claqué la porte au nez.

- Pourquoi tu parles de lui ? demanda Jenny.

- Il a très souvent côtoyé le maire, répondit Jayk, il peut nous en dire beaucoup sur lui.

- Vu comment vous le décrivez, dis-je, vous pensez vraiment qu'il acceptera de nous aider ?

- J'ai tondu sa pelouse pendant deux ans, ajouta Jayk, j'ai déneigé devant chez lui et j'ai même fait ses courses.

- T'as été sa bonniche quoi, lança Gart.

- J'avais besoin d'argent. En tout cas, il est devenu moins désagréable, je suis sûr qu'il acceptera de me parler.

- Super, répondit Aïko, on se retrouve demain pour y faire un tour.

​Aïko jeta un oeil à Enza et se rapprocha d'un air soucieux.

- Hey, qu'est-ce que t'as ? Enza ?

Epuisée de ne pas réussir à dormir la nuit, elle s'était écroulée de fatigue.

- Enza, il faut que tu me parles, dis-moi ce qu'il y a.

- Ecoute, ajouta-t-il, je sais que..

- Appelle Harvey.

- Quoi ?

- Appelle-le.

- Tu.. Tu veux qu'il..

- S'il te plaît..

- D'accord.

Pendant que mes bras cassés squattaient le toit du bâtiment, j'en sortis un instant et croisai Tyler, qui m'arrêta.

- Salut, lança-t-il un peu gêné.

- Salut Tyler.

- On n'a pas beaucoup parlé depuis..

- Depuis ?

- Depuis que tu connais mon nom de famille. Est-ce qu'on est cool avec tout ça ? Ou est-ce que ça pose problème..

- Bien sûr qu'on est cool avec tout ça.

- Ah ! lança-t-il d'un air soulagé, tant mieux.

- C'est plutôt avec Adam que tu devrais t'expliquer, j'ai entendu dire que c'était avec lui que t'avais des problèmes.

- On a eu un p'tit accrochage, rien de grave.

- Hmm. 

- J'irai parler avec lui un de ces jours.

- Super.

- Alors comme ça, demain vous allez voir le vieux Eurli ?

- Possible. T'écoutes les conversations maintenant ?

- C'était difficile de ne pas entendre. Faites gaffe quand même, le vieux est complètement cinglé, il perd la tête.

- Je prends note, merci.

De retour sur le toit, Harvey s'était empressé de rappliquer le plus rapidement possible. 

- Enza ?

A peine avait-elle entendu le son de sa voix qu'elle se sentit soudainement rassurée, puis elle se précipita dans ses bras sans dire un mot.

- Tu m'as fait crapahuter jusqu'ici pour essayer de me charmer avec ce paysage en fait, c'est ça ? lança-t-il en usant de l'humour pour la détendre, regarde ça. Comment on peut angoisser devant une telle beauté..

- T'avais pas ça à Oasis Paumé Springs, hein ?

La seule réponse d'Enza fut un léger rire saupoudré de chagrin, suivi d'un petit reniflement.

Le lieutenant Gloy avait reçu le fameux message du numéro inconnu, lui indiquant l'heure et le lieu du rendez-vous.

Bien qu'il avait l'habitude de gérer le stress et les situations difficiles, ce face à face le rendait extrêmement nerveux.

A l'intérieur, il jeta un regard sur la table du fond et sentit son coeur s'emballer. Tous ces mois de recherches, la quantité de travail qu'il avait fourni pour retrouver la trace de cet homme, cet homme qui était enfin là, mais seulement parce qu'il l'avait décidé.

Chaque pas vers Valdenn lui donnait des sueurs froides, la source de tous ses récents problèmes se tenait qu'à quelques mètres de lui.

- Inspecteur, salua Valdenn, asseyez-vous, je vous en prie.

L'inspecteur regarda rapidement autour d'eux.

- Y a pas grand monde, constata-t-il.

​Même le barman manquait à l'appel.

- Je voulais qu'on soit tranquille, répondit Valdenn.

- Je vois, vous avez encore tué tout le monde, c'est ça ?

- Allons, inspecteur, pour quel genre de psychopathe vous me prenez ? J'ai loué ce bar.

- Je vais faire comme si je vous croyais.

- Pourquoi ce "encore" dans votre phrase.

- Arrêtez, je sais que vous savez que je sais.

Amusé, Valdenn lui sourit en laissant échapper un léger rire.

- Vous avez tué ces gens, même si c'était pour de bonnes raisons, vous avez tué ces gens.

- Vous avez trouvé les corps ?

- Non.

- C'est normal, il n'y en a pas, il n'y en a plus. Pas de corps, pas de preuve. Le sujet est clos.

L'inspecteur resta muet, la colère le gagnait peu à peu.

- Vous avez une petite mine, inspecteur, vous travaillez trop. Faut penser à se reposer.

- Pourquoi vous m'avez fait venir ? 

- C'est pas ce que vous vouliez ? Me voir ?

- Vous voir derrière les barreaux, oui.

- Ce sera le cas, mais pas tout de suite. Ouvrez grand vos oreilles, c'est l'heure de la petite histoire.

- Quelle histoire ?

- Celle qui raconte mon ascension dans le domaine du mensonge et de la manipulation. 

Le lieutenant Gloy avait beau être prêt à lui passer le menottes immédiatement, il était tout de même curieux d'entendre ce qu'il avait à dire.

Unknown Track - Unknown Artist
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- J'avais pas plus de 10 ans quand je me suis rendu compte de l'emprise que je pouvais avoir sur les autres, à l'école, les autres gamins ne me parlaient pas, ne m'approchaient pas, il y en a toujours un qui est l'exclu. Fallait que je trouve une astuce pour m'imposer. Alors je ne disais rien, j'observais, j'analysais, cherchant les points forts et les points faibles de chacun, juste au cas où je devais m'en servir contre eux. 

- A 10 ans ?

- J'étais mature pour mon âge.

- Un peu trop.

- J'ai vite repéré tous ceux qui avaient fait des conneries et qui voulaient pas que ça se sache, ce sont eux que j'ai pris pour cible. Je me suis imposé en tant que chef de leur petite bande, leur disant que le premier qui mouftait allait vite le regretter. Je leur annonçais tout ce que je savais sur eux, et qu'ils devaient m'obéir s'ils ne voulaient pas que je révèle tout ça au grand jour. Et ça a marché, j'étais respecté.

- Vous étiez craint.

- Quelle différence ? J'ai grandi et utilisé cette technique encore et encore, au début, c'était pas grand chose, des infidèles, des voleurs, des escrocs. Je tapais dans tous les milieux, médecins, avocats, hommes d'affaires, boulanger, chauffeur de bus, peu importe. Et vous savez pourquoi ça marchait encore et encore ? Parce que tant qu'il y aura des gens pour faire des conneries, il y en aura toujours qui seront là pour s'en servir contre eux. 

- Mais on n'est plus à l'école où tout était enfantin et sans conséquences, répondit le lieutenant, vous avez grandi et êtes entré dans un monde d'adultes où vous fréquentez des gens dangereux.

- Le but étant d'être encore plus dangereux qu'eux. Ma première grosse affaire, j'avais 20 et quelques années, c'était un homme qui travaillait à la morgue, et il était un peu trop proche des macchabées, si vous voyez ce que je veux dire. J'avais des preuves contre lui, cette personne étant un peu dérangée, j'ai frôlé la mort plus d'une fois, mais il a fini par comprendre qu'il avait affaire à un détraqué plus imprévisible que lui.

- Qu'est-ce que vous lui avez fait ?

- Je lui ai sectionné quelques parties de son corps.

Le lieutenant en resta bouche bée, puis Valdenn éclata de rire.

- Mais non voyons, je plaisante ! Enfin peut-être pas. Ce qui est sûr, c'est que je lui ai demandé une grosse somme d'argent contre mon silence. Mais cette histoire me dérangeait, j'ai fini par le balancer aux flics et j'ai gardé l'argent.

- Vous êtes un grand malade.

- A force, j'ai réussi à gagner ma vie comme ça, tous les gangsters, les criminels de cette ville et des villes voisines étaient devenus mes pantins. Mais je me suis aperçu qu'il y avait tellement de gens malhonnêtes dans le monde, que j'allais sûrement avoir besoin d'aide. Je me suis donc bâti une petite communauté que je contrôlais grâce aux menaces et à la crainte. Un cercle bien fermé qui allait pouvoir faire le sale boulot pour moi.

- Le maire ?

- Kolynn Viks est devenu plus qu'un simple membre de cette communauté, il était sans aucun doute celui qui avait le plus de choses à se reprocher, et il était très intelligent. Petit à petit, il est devenu celui qui faisait respecter mes ordres, un peu plus cruellement que je n'osais le faire.

- Mais s'il est de votre côté, pourquoi il s'en prendrait à Enza et Aïko alors que vous, au contraire, vous les protégez ?

- J'ignore encore ce qu'il se passe dans sa tête, pourquoi eux, je sais pas encore. Tout ce que je sais, c'est qu'il est devenu incontrôlable et qu'il me déteste, c'est pour ça que je le fais surveiller. Il essaie de rallier le plus de monde à sa cause, il veut tous les retourner contre moi.

- Il a réussi ?

- Pas avec grand monde, votre chef en fait partie.

- Vous le teniez ?

- Bien sûr, il est de loin le flic le plus corrompu que je connaisse, et j'en connais un tas. J'ai un lourd dossier sur lui. 

- Pourquoi Kolynn Viks a soudainement décidé de se rebeller ? Qu'est-ce qui s'est passé ?

- J'ai fait exécuter sa femme.

Le lieutenant ricana soudainement.

- Non, lança-t-il, vous allez pas m'avoir cette fois.

- Mais je ne plaisante pas. 

- Vous..

Le lieutenant essayait d'assimiler tout ce qu'il venait d'entendre.

- Vous.. Vous avez fait exécuter sa femme ?!

- C'était une horrible personne qui avait tenté, à plusieurs reprises, de se débarrasser de leur enfant malade.

- Quoi ?!

- Il n'a jamais voulu entendre cette histoire, il croit que j'ai fait ça pour lui faire du mal, c'est faux. Cette femme allait recommencer, il fallait qu'elle disparaisse. 

- Les rapports de police disent que c'était un..

- Tragique accident de voiture, oui. Rédigé par votre chef, sur ordre de ma personne. L'enfant a été placé dans un centre spécialisé, je me suis occupé de son bien-être comme si c'était le mien, tout est passé sous silence, la presse n'a jamais été avertie, personne n'a jamais rien su. Mais Kolynn me tient pour responsable.

- Vous auriez pu la dénoncer plutôt que de la tuer.

- Elle ne méritait pas de vivre.

- Ce n'était pas à vous d'en décider !

- Cette folle allait finir par tuer leur fils, quelqu'un capable d'une telle chose pouvait alors s'en prendre à n'importe qui, Kolynn y compris.

- Vous pensez qu'il va se venger ?

- Bien entendu.

- Il va s'en prendre à Daïna.

- Ça m'a traversé l'esprit.

- Vous vous en êtes pris à la femme qu'il aimait, il va s'en prendre à la femme que vous aimez.

- Pourquoi croyez-vous que je la fais surveiller h24 ?

- Elle est jeune et elle n'a rien à voir avec tout ça, elle mérite pas qu'on s'en prenne à elle.

- Vous pensez que je ne le sais pas ?

- Vous lui avez fait assez de mal comme ça, elle continue de vivre sa vie, elle a trouvé un gentil garçon, elle est heureuse maintenant.

- C'est quoi la suite ? demanda le lieutenant.

- Je voudrais passer un marché avec vous.

- Quel genre ?

- Ne vous mêlez plus de tout ça, laissez-moi faire, contentez-vous de protéger Daïna et les deux autres. Harvey est là pour vous aider, le directeur de l'Université aussi.

- Il est avec vous ?!

- Il a fait quelques affaires un peu louche par le passé.

- Vous le tenez.

- Il fait partie des espions que j'ai envoyé auprès de Kolynn, et qui m'avaient averti au tout début qu'il y avait quelque chose qui se préparait contre moi. Kolynn n'est absolument pas au courant que je sais qu'il s'est retourné contre moi, et il ne faut en aucun cas qu'il l'apprenne, sinon je perds mon avantage. Il fait semblant que tout va bien, je fais semblant aussi.

- Donc, je vous laisse vous occuper de Kolynn Viks. Et ?

- Et, en échange, je me livrerai à vous quand ce sera terminé, je vous livrerai tous ceux qui méritent d'être derrière les barreaux. Autant vous dire que les cellules vont très vite se remplir.

- Vous vous livrerez à moi ?

- Vous avez ma parole.

- Si on m'avait dit que je passerai un marché avec vous, soupira-t-il.

- C'est aussi étrange pour moi.

- Vous êtes quelqu'un d'intelligent, ajouta le lieutenant, vous auriez pu mettre tous vos talents à des fins plus.. honnêtes. Vous auriez pu être quelqu'un de bien, quelqu'un qu'on aurait eu envie d'admirer. Vous vous êtes trompé de chemin, c'est bien dommage.

- Les choses auraient pu se passer différemment, en effet, mais je suis ce que je suis. Pensez plutôt au coup de boost que va prendre votre carrière quand vous allez m'arrêter moi et toutes les pourritures de cette ville.

- Ça y est, dit Harvey, elle s'est endormie.

- Cool, tant mieux, elle semble être à bout de forces.

- Et toi ?

- Moi ?

- Tu veux me faire croire que tout va bien ?

- Tu sais, c'est pas en gardant tout pour toi que tu te sentiras mieux. Je sais que t'es aussi chamboulé qu'elle, c'est tout à fait normal. Mais il faut que tu parles, hmm ?

Au bout de quelques secondes de silence, Aïko se lança.

- J'ai vomi. Le soir où on a vu.. cette boucherie. En rentrant, j'ai vomi. Et j'ai failli tourner de l'oeil en repensant à tout ça. J'arrête pas d'y penser. Elle t'en a parlé à toi ?

- Elle m'a dit ce qu'elle ressentait.

- Pourquoi elle m'en parle pas à moi ?

- Quand deux personnes vivent une situation aussi perturbante, soit ça les rapproche, soit ça les sépare. A toi de choisir de quelle manière tu veux traverser cette épreuve.

- Et si elle refuse ? Si elle veut pas me parler ?

- Si elle veut pas, tu lui fais un câlin. 

​Aïko ricana malgré lui.

- Merci Harvey.

- Que vous le vouliez ou non, je serai là pour vous, les punaises.

*Musique : Hans Zimmer - Time

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